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Nous sommes le 20 avril 1770. Un ambitieu commandant de la Royal Society observe de sa lunette la silhouette d’une terre inconnue. Il s’agit peut-être du but de son voyage. Le regard perçant, il se répète à lui même cette phrase qui l’a probablement poussé vers la mer : 

« J'ambitionnais non seulement d'aller plus loin qu'aucun homme n'était encore allé, mais aussi loin qu'il était possible d'aller[...] »*

Son nom est James Cook. Il est alors âgé de 52 ans et ce qu’il regarde n’est pas sa convoitée Terra Australis. L’Endeavour, son célèbre trois-mâts est entrain de longer les côtes du Sud-Ouest de ce qui sera plus tard appellé l’Australie.

 242 ans plus tard et quelques dizaines de milliers de traces laissées par la présence de l’Homme sur ces terres, je foulais à mon tour ce vaste continent du Pacifique Sud. J’atterrissais à Sydney un lundi 18 juin. Je n’avais sûrement pas les mêmes ambitions que le capitaine Cook mais j’espérais cependant en découvrir suffisamment pour m’enrichir personnellement.

Le soleil était là et la température était bien plus douce que le froid hivernal de Christchurch que je venais de laisser derrière moi. J’avais pu trouver quelqun pour m’héberger ici et ce fut ma première expédition sur le grand continent austral.

Mon séjour à Sydney n’était que de quelques jours. Mon ambition première était de rejoindre la pointe Nord de l’Australie d’où je partirais exactement 28 jours plus tard. Pour cela j’avais prévu très modestement de longer la côte Est australienne jusqu’à Cairns puis dérouter ensuite vers l’Ouest en direction de Darwin.

Mes premiers pas à Sydney étaient pour moi l’occasion de nouer avec unenouvelle culture. J’en profitais pour écumer les bords de la baie, croquer l’Opéra House, voguer sur la rivière Parramatta et surtout observer pendant des heures la faune et la flore du jardin botanique. C’est peut-être ce qui me frappait le plus de mes vagabondages dans l’une des plus grandes villes d’Australie. J’étais au cœur de la ville et une végétation semi-tropicale appraissait derrière un immense gratte-ciel. Puis suivaient des cris, comme des croassements strident. Je levais la tête et un groupe de Cacatoès à huppe jaune (Cacatua galerita) traversaient le ciel en direction d’un vieil arbre centenaire. Puis tournant la tête de l’autre côté j’apercevais un un arbuste trembler. Je pensais tout d’abord à caprice du vent mais les petits piaillement m’obligeaient à m’approcher curieux. Sortant des feuillages dans un cri infernal, de petites perruches Loriquet à tête bleue et aux milles et une couleurs fuyaient vers un nouvel abris. Je passais mes premiers jours à regarder perplexe et émerveillé mes nouvelles découvertes animalières. Le temps restait ensoleillé et la mer de Tasmanie se brisait sur les récifs. Tout était propice au rêve et mes pensées dérivaient sur l’image de ma Douce dont le visage m’apparaissait telle une douceur sucrée.

Lorsque je quittais Sydney je gardais sur le bout de ma langue le goût des différentes bières que j’avais eu l’occasion d’essayer chez mes hôtes. Ces derniers avaient leur propre production qu’il partageait volontier. Passionnés par les bières belges en particulier, Matt et Dan, s’évertuaient tels des alchimistes possédés par la passion, de trouver la parfaite combinaison des saveurs.

Je commençais donc réellement mon aventure australienne en quittant mon point de départ. J’apprenais, parfois à mes dépend, que le voyage improvisé peut vous être dans certains pays difficile. L’Australie est de fait un continent occidental sur lequel le coût et les habitudes du quotidien s’apparentent à l’Europe ou aux États-Unis. En ce sens je choisissais dans la mesure du possible des hébergements chez l’habitant plutôt que des auberges de jeunesse.

Ma première étape était donc Newcastle et ses batiments ressemblant à la vieil Angleterre industrielle. J’étais accueillis par Johnatan, un jeune professeur d’histoire de l’art à l’université. Ce jeune homme s’émerveillait de la France, vantait Paris qu’il semblait aimer passionnément. Nous avions de grandes discussions sur la société australienne, la place de l’art, les habitudes. J’apprenais par là-même que la jeunesse australienne consomme volontier des drogues, souvent dures et j’en étais le témoin lors d’une petite soirée. Une jeune femme sortait de son sac-à-main un tube duquel elle laissait s’échapper une fine poussière brune sur une petite assiette. Elle roulait ensuite une paille à l’aide d’un billet de 10 dollars australiens. Elle l’approchait de l’une de ses narines et d’un coup bref sniffait une partie de sa préparation. Elle faisait tourner le reste à son entourage. J’apprenais plus tard qu’il s’agissait d’un peu de speed consommé pour tenir la soirée.

Le jour suivant nous partions faire une balade dans le Barrington National Park. Cela me donnait l’occasion de connaître un peu le bush australien, moi qui allait par la suite principalement nouer avec les côtes. Plus la voiture s’enfoncait dans les terres, plus les paysages s’asséchaient. Les couleurs tiraient sur le jaune et l’ocre. Il y avait très peu de reliefs montagneux. Quelques colines marquaient ce décor à peine vallonné. L’apparition au loin d’une forêt semi-tropicale était en ce sens comme un choc. Mise en valeur dans cette ambiance brûlée, elle ressortait majestueuse. De gigantesques arbres nous entouraient. Des lianes prenaient proressivement possession des troncs. Un épais tapis de fougère s’enfoncait dans l’humus. Une odeur de terre mouillée se vaporisait dans l’air, notamment aux alentours des cours d’eau ou cascades que nous rencontrions. Johnatan me faisait observer que la rainforest se développe sur deux niveau. Le premier représenté par la cîme des arbres sur laquelle grandissent d’autres plantes qui servent à leur tour de foyer pour les nombreuses espèce d’oiseaux. La deuxième grandit sur l’humus sur lequel apparait une végétation plus basse, plus dense qui accueille d’autres espèces animalières. Alors que la voiture avançait doucement sur la piste de terre, un étrange oiseau traversait la route en courant. C’était une femelle Lyerbird au teint brun-gris et à la longue queue éfilée. Cet oiseau est capable de reproduire n’importe quel autre son d’oiseau. Certain disent qu’il peut reproduire les sons électroniques quand il les entend. Puis la voiture continuait sa chevauchée fantastique, roulant sur les sauts de plusieurs kangourou qui tentaient de la semer.

Newcastle était une expérience brève mais enrichissante que je laissais pour Port Macquarie un peu plus au Nord toujours sur la côte Est. Je faisais à mon arrivée la connaissance de Chris, un anglais cinquentenaire de Bristol qui avait décidé de s’installer ici depuis plusieurs années. Cet homme était touchant. Le regard voyageur, il laissait transparaître de nombreux périples dans le monde. J’avais en l’écoutant l’impression de pouvoir sentir sa crainte de la solitude. Cette âme si généreuse avait accueilli chez lui de très nombreuses personnes avec lesquelles il avait partagé ses nombreuses histoires de voyage. Après plusieurs verres de vin rouge, nous étions les meilleurs amis du monde. Nous voyagions ensemble. Sa divine cuisine nous y aidait.

Lors de mon séjour à Port Macquarie, Chris s’évertuait toujours à me montrer cet amourpour la nature qu’il avait perçu en moi. En roulant, il donnait régulièrement de brefs coup d’oeil vers le ciel. Ses yeux embrassait les feuillages des arbres comme pour chercher quelque chose qu’il s’embêtait de ne pas trouver. Quand il s’arrêtait finalement sur le bas côté, en plein quartier résidentiel, je comprenais enfin son manège. Un koala de taille adulte était câlé sur la branche d’un arbre. J’observais pour la première fois de ma vie cet être si tendre. Il me regardait à son tour les yeux à demi-clos. L’image de ma première pelûche me venait à l’esprit.

Je passais mon temps ici sur les bors de l’océan. Les sept kilomètres de chemin côtier étaient absolument magnifiques. Je pouvais sentir le sable fin sous mes pieds. Parfois, une vague plus forte que les autres obligeait l’eau à les recouvrir. Je m’arrêtais souvent sur la multitude de coquillages dont certains se perdaient dans mes poches. Encore une fois, les couleurs du règne animal étaient inépuisables. Bleu, vert, rouge, brun, jaune, tâcheté, à rayures, uniforme, je n’en finissais plus de glisser sur cet arc-en-ciel magnifique. Chris me faisait découvrir également le passage des baleines le long de la côte. Du haut du phare, de nombreux jets d’eau témoignaient de la présence de ces immenses mammifères marins. Bien que la plupart soient difficilement visible à l’oeil nu en raison de la distance, un groupe semblait à une poignée de kilomètres seulement. Je pouvais voir ces baleines Humpback nager en faisant le dos rond. De temps en temps leur queue impressionnante ressortait de l’eau pour disparaitre à nouveau dans quelques éclaboussures. Puis dans ce silence majestueux, l’une d’entre elle sortait toute entière de l’océan dans un saut superbe avant de retourner pesante dans son élément vital. Je ne voulais plus partir.

Mes découvertes à Port Macquarie s’enchainaient rapidement. Bien que mon dernier jour ici se faisait sous une pluis battante, j’observais avec le même enthousiasme cette vie sauvage dont je tentais de percer chaque jour le secret. Je tentais parfois de ressentir ce que James Cook lui-même avait pu éprouver. Lorsqu’à bord de l’Endeavour il avait pu observer avec une force qui le dépassait probablement l’effervescence de la vie. Peu m’importait la pluie diluvienne qui s’abattait sur mon visage. Mes pieds me trainaient seuls sur les plages désertées. Les vagues grandissantes s’abattaient violemment sur les rochers. Le vent soufflait fort. Le visage encapuchonné, j’avancais, sans pouvoir m’arrêter d’observer ce vaste univers. Je me sentais grand tout en étant petit. Deux grands faucons tournoyaient dans le ciel noir. Je quittais Port Macquarie avec le cœur d’un aventurier.

Les jours qui suivirent n’étaient pas d’un grand intérêt. J’avais un contact sur la Gold Coast aux alentours de Surfers Paradise et nous nous étions mis d’accord pour nous rencontrer. Finalement c’était deux jours de pluie incessante qui m’attendaient sur place. Je restais dans une auberge sans pouvoir rien faire à attendre des nouvelles de cette personne. Elles ne vinrent jamais. Je rejoignais donc la Sunshine Coast frustré et de mauvaise humeur.

Le reste de mon périple je le vivais en fonction de mes ressources financières. Mon budget disparaissait à une vitesse impressionnante. Après avoir choisi de m’engager dans deux tours intéressant sur Fraser Island et Whitsundays, je regardais mes économies s’amoindrir dangereusement.

Je ne m’alarmais pas pour autant, gardant toujours en tête le caractère unique de mon expérience.

Mon passage rapide en Australie proportionnellement à sa taille, m’avait obligé à opter pour des tours organisés pour mes deux prochaines étapes. J’étais habituellement contre ce genre d’initiative en raison du manque de liberté qu’on l’on y peut avoir. D’autre part je ne peux supporter d’adopter la position du parfait touriste en voyage. C’est pourquoi je fuis dans la mesure du possible ces possibilités. Pourtant dans ce cas le temps avait raison de moi et je devais faire abstraction de tout cela. Il fallait me résigner à participer au système en imaginant que les paysages prendraient le dessus sur tout le reste.

Je partais donc pour commencer, sur Fraser Island, au large de la baie de Hervey sur la Sunshine Coast. Beaucoup de personnes rencontré sur la route m’avaient assuré de la beauté du lieu. Je voyais donc le bateau s’éloigner du quai en rêvant le meilleur.

Le ferry voguait vers un long nuage de brume dans lequel il finissait par se jeter. Les touristes à son bord commençaient déjà à armer leur appareil photo. Je n’étais pas à l’abris d’en faire de même. Cependant, j’essayais d’oublier tout ce monde. Je préférais me focaliser sur l’image mystique que l’île me renvoyait depuis le bateau. La brume paraissait être la porte entre deux mondes. Fraser Island nous attirait en elle. Nous étions avalés d’un côté pour être recrachés de l’autre.

Lorsque nous touchions quai, plusieurs bus nous attendaient déjà. Une vague de personnes déferlait sur le rivage. Nous étions conduit à nos enclos mobiles en fonction du tour que nous avions choisi. À bord avec moi, quarante-huit autres curieux. Je ne pouvais m’empêcher de pleurer en moi-même la disparition du caractère spécial de l’endroit. Comme je l’avais crain, le bus roulait sans âme sur le sable des plages de la côte Est de l’île. Je regardais l’incroyable paysage que je voyais défiler à toute allure sans pouvoir y goûter. Ma fenêtre me semblait une porte de prison. Je percevais la lumière mais je ne pouvais pas la voir. Les quelques étapes que nous faisions, me paraissaient être le signe caricatural des tours programmés. Le bus vomissait ses quelques dizaines de touristes à un point le temps de prendre des milliers de photos qui resteront pour la plupart dans la mémoire d’un ordinateur sans jamais plus en sortir. Puis nous étions gobés par le véhicule pour être régurgités à nouveau ailleurs. Tout se passait très vite. Nous ne faisions que caresser la beauté de l’île sans vraiment l’observer. Beaucoup de choses nous échappaient. Je m’attristais de penser à ce que probablement la plupart d’entre nous repartirait de belles images dans la mémoire fictive d’un appareil photo mais avec des souvenirs à demi-flous dans la tête. En ce sens Fraser Island était pour moi une mise en appêtit qui me laissait sur ma faim. Je voyais l’île comme une autoroute touristique. Ce tourisme qui parfois détruit les plus beaux endroits de la planète alors qu’il devrait servir à les préserver. Encore un paradis victime de sa magnificence. Des déchets jonchant sur la plage, trace d’une fréquentation journalière trop importante. Cela me rappellait tristement le sort de la lagune vénitienne. Le phénomène naturel de nettoyage des eaux par le sel marin avait subi le contre-coup du tourisme de masse journalier. Finalement le cycle naturel avait abandonné son rôle à la déchetterie humaine. La Nature avait encore une fois était sacrifiée sur l’autel du succès commercial.

Au milieu de ce chaos humain pourtant je me reconnaissais dans quelqun. Un jeune homme qui depuis le début de la matinée laissait transparaitre un je ne sais quoi. Quelque chose en lui m’attirait. J’avais l’étrange sensation que nous nous reconnaissions dans un principe. C’était un voyageur du monde. Il avait pas mal bourlingué en Amérique du Sud, en Equateur notamment. Nous nous étions compris dès le départ. C’était comme une bouffée d’oxygène.

Nous quittions Fraser Island en fin d’après-midi à l’heure où le soleil se couche. Le bateau s’éloignait de son point d’amarrage dans le crépuscule. Malgrè nos attaques incessante contre Elle, la Nature nous offrait en spectacle sa magnifique tolérance. Un rouge, puis un orange, puis un jaune pâle, puis un rose, puis un violet, puis un mauve, puis plus rien. L’arc-en-ciel de couleurs continuait sa route dans les souterrains aquatiques. Sur la droite du ferry, nous apercevions quelques ailerons sortant par intervalle de l’eau dormante. Un groupe de dauphins nageait vers le couchant. C’était les premiers que je voyais depuis le commencement de ma vie. Les larmes n’étaient pas loin. J’étais en paix.

Je pense que le second tour que j’avais choisi fut autrement plus intéressant. Je venait de débarquer à peine dans la petite ville côtière d’Airley Beach toujours sur la Sunshine Coast. Le cadre était joli et j’installais ma tente dans un camping à une minute de la plage. J’avais décidé de stopper ici sur les conseils de plusieurs personnes. La Grande Barrière de Corail n’était pas loin et plusieurs tours organisés proposaient des croisières de deux jours en voilier dans les îles de Whitsundays. Certains affirmaient même que l’on pouvait y voir l’une des plages les plus belles du monde : Whiteheaven. Je choisissais donc un séjour sur le Watzling Matilda, un voilier d’une capacité de 14 personnes. Le nombre me paraissait raisonnable et j’envisageais la possibilité qu’il ne soit pas rempli en raison de la basse saison. J’attendais donc les deux jours suivant le temps du départ, vagabondant sur la plage, lisant au soleil et m’extasiant toujours devant le système des marées. Parfois je repensais à Fraser Island. Je repensais au gâchis que nous faisons souvent des magnifiques endroits que nous découvrons. Je me disais à moi-même qu’il aurait mieux fallu laisser cette île perdue dans la brume pour toujours. Ne jamais la découvrir. Comme une sorte de paradis perdu dont nous aurions parlé dans nos légendes sans jamais l’avoir rencontré.

Finallement la date de la croisière arrivait. Le voilier levait l’ancre avec à son bord 9 personnes plus les 2 skippers. Le soleil était là et le vent se maintenait à 40-50 km/h environ. J’avais dans mon cœur la forte sensation de voguer sur les traces de Papa. C’était un retour à la mer. Un moyen de le comprendre, de l’écouter, de l’aimer encore plus.

Nous jetions l’ancre une première fois dans les alentours d’une petite crique. John, le capitaine à bord, nous assurait qu’il s’agissait probablement là d’un des intéressants endroits de l’archipel pour une plongée au masque et tuba. Nous étions aux porte de la Grande Barrière de Corail. Nous étions tous débarqués sur la petite plage de corail mort. Une combinaison sur le dos, pour éviter les piqûres de méduse, et armés d’un masque et d’un tuba, nous nous laissions flotter sur l’eau limpide et turquoise. Devant nos yeux, l’incroyable spectacle de la vie marine. Des poissons de toutes les couleurs nageaient entre les coraux. Nous étions face à une peinture de la Nature. Aucun animal marin n’était farouche ici et il était possible de nager avec eux. Le mélange coloré de poissons et de coraux nous faisait rester dans l’eau pour une demie-heure. Le temps ne nous paraissait rien. L’océan à tendance à s’en emparer.

Nous repartions ensuite vers une petite île de sable. Le vent nous faisait parfois claquer des dents mais nous en faisions abstraction. Je m’éloignais un peu seul vers un point de végétation. Quelques signes de mangrove avaient été abandonnés provisoirement par la marée basse. Nous remontions à bord, cap sur notre point d’ancrage pour passer la nuit.

Nous avions stoppé jusqu’au lendemain entre deux îles, au Nord-Est de notre point de départ. J’avais malheureusement très mal dormi. Mon esprit avait été emprisonné dans une spirale de rêves étranges dont le premier remettait en scène Papa. La mer semblait vouloir me rappeller des souvenirs. Nous mettions le cap au petit matin vers les îles de Whitsundays et la plage Whiteheaven. Nous y jettions l’ancre aux alentours de 9.00 et étions débarqués sur Tongue Island pour une exploration de la végétation et des plage. John nous faisait traverser une petite forêt semi-tropicale. Il s’arrêtait soudain, figé dans l’instant. Un sourire au coin de la bouche, il se tournait vers nous le doigt pointant une branche. Une immense toile d’araignée s’y trouvait. Mais l’indication n’était pas tant pour elle que pour sa propriétaire. Une aranéide de la taille d’une main adulte ouverte nous faisait face. Sans bouger cette Gold Spider attendait qu’une proie s’enlise dans sa toile. Elle était telle une beauté fatale. Nous continuions notre marche jusqu’au commencement de la plage. Le spectacle fut saisissant. Une large route de sable blanc et fin s’enfonçait dans l’eau turquoise. Ce sable avait été débarassé de ses impuretés tout au long des siècles. Je m’isolais encore seul. Tout du moins presque. Ce lieu était sur l’itinéraire de toutes les agences de tourisme du coin. Des groupes entiers déferlaient sur la plage. Ce qui nous sauvait fut la basse saison. Nous étions à une période de l’année durant laquelle le vent intimide beaucoup de monde. Nos pouvions nous considérer heureux de pouvoir encore apercevoir le sable sous les pieds de toutes ces personnes.

Lorsque nous remontions à bord sur les coups de 11.30 nous étions affamés. Scott, l’assistant skipper, nous avait préparé un magnifique buffet que nous dévorions immédiatement. Puis des cris nous interpellaient sur le pont du voilier. Une tortue marine venait de remonter à la surface pour reprendre son oxygène. Elle était magnifique. Cette Tortue Longerhead restait quelques minutes la tête hors de l’eau avant de couler à nouveau. L’eau était suffisemment claire et elle se trouvait si proche du bateau que nous pouvions très distinctement l’admirer toute entière.

Nous reprenions maintenant le chemin du retour. Airley Beach nous voyait débarquer vers 16.00 et je quittais mes compagnons de la mer pour renouer avec ma solitude. J’avais un bus pour Townsville sur les coups de 20.00 et je récupérais donc la totalité de mes affaires là où je les avais laissé un jour plus tôt. Une heure et demi plus tard la nuit était déjà là. Je préparais mon repas du soir à la lumière d’un réverbère. Alors que je faisais mes sandwichs, de grands oiseaux nocturnes s’approchaient en silence des tables de camping. Une impression étrange me saisissait. La nuit était très fraiche et ces piafs s’élançaient sur leurs grandes échasses tels des fantômes précieux. Ils annonçaient leur arrivée dans un cris strident surgit de l’obscurité. Enrobés d’une couleur brun-gris tâchetée de blanc, leurs yeux en amande se prolongeaient dans une rayure blanche. En marchant ils semblaient ne pas vouloir attirer l’attention, se figeant dans l’ombre lorsqu’ils se sentaient observés. L’image fantomatique qu’ils dégageaient se voyait en cela plus forte.

En attendant mon heure, je repensais à une discussion que j’avais eu sur le bateau avec l’une des passagère. Cette solitude que je ressens chaque jour et qui s’articule autour d’un double sentiment. C’est un mélange de pesanteur et de légèreté. Suis-je heureux d’être seul. Je ne le crois pas. Je rencontre des gens pour les quitter aussitôt. Ce sont les personages éphémères de mon aventure que je ne peux saisir car ils sont figés dans l’instant de la rencontre. Je ne reverrais probablement jamais la plupart. Certains m’enrichissent, d’autres me laissent de marbre.

Le bus arrivait avec une heure de retard. Townsville m’accueillait à 2.00 du matin.

Mes jours à Townsville étaient marqués par le repos. Je sentais que mon corps avait besoin de se stabiliser, de ne rien faire et je profitais de l’excuse de mes faibles ressources financières pour lui donner le dernier mot. Je logeais chez un vieux marin, Warren. Passionné par la mer et les animaux qui la peuple, cet homme de 60 ans avait pas mal roulé sa bosse à travers la planète. Il me racontait souvent de nombreuses anecdotes de voyage que j’ecoutais, attentif à chaque detail. Certaines de ces histoires je les avais vécu moi-meme. Lorsqu’il parlait de l’Amerique du Sud, je pouvais me lancer à mon tour dans de nombreux récits. Nous avions en ce sens quelques impressions en commun et cela nous faisait sourire.

Warren avait un nouveau projet en tête. Quand je l’ai connu, il travaillait comme une bête sur un ancien voilier de competition de 44 pieds (14 mètres environ) qu’un de ses amis avait racheté. L’Apollo VI subissait une entière rénovation pour un prochain voyage. Son idée était de longer la côte australienne jusqu’à Melbourne pour ensuite rejoindre le Japon puis rentrer. Un fabuleux periple qui le faisait se plier en deux pendant des heures sans dire un mot. Encore un que la sirène du voyage avait dévoré tout entier. Cet homme ponçait, peignait quatre heures tous les jours chaque jour de la semaine. Je le regardais faire, parfois proposant mes services. Il avait commencé à travailler dès l’âge de 16 ans. N’ayant jamais fait d’études en raison d’une dyslexie qui l’avait souvent freiné dans sa vie, il avait opté pour l’aprentissage du voyage. Il me répétait régulièrement que la véritable lesson nous la recevons bien souvent de la vie elle-même. Sur ce principe il avait décidé de construire les bases de son existence et il semblait heureux de l’avoir fait. Je l’observais admiratif, l’écoutais attentif et en profitais pour capter quelques astuces de vieux marin. De temps en temps, la fatigue avait raison de moi et je n’arrivais plus à assimiler la multitude d’informations précieuses que cet homme me donnait chaque jour. Son accent australien n’arrangeait pas les choses et je finissais souvent mes journées épuisées.
Je faisais également quelques balades sur le bord de mer. Le climat commençait à changer. Le tropique n’était plus très loin maintenant. Ces marches solitaires au soleil me donnaient l’occasion de repenser à ma vie, aux moments qui m’ont marqué, aux gens qui me manquent. Ma mémoire vagabondait très loin. Des souvenirs de mon enfance en Italie refaisaient surface. La maison de Marina Velca, dans le Sud de Rome, était la, intacte. Mes Grands-parents se chamaillaient en rillant sous la pergola. J’avais 4 ans et je regardais perplexe la sortie d’eau d’un robinet de jardin. C’était ma premiere grande decouverte. Puis je jouais les équilibristes sur le dos de mon père dans cette mini piscine pour enfant qui jonchait sur la terrasse en plein soleil.  Comme cette photo que j’ai de lui et que je me trimballe depuis des années dans le portefeuille.
Je repensais à mes amis, à mon amour, à toutes ces années qui passent sans que l’on s’en aperçoive. Cette enfance qui dure si peu de temps. Je me rendais compte qu’un quart de siècle était déjà passé depuis ma naissance. Beaucoup de choses avaient eu le temps de changer. Des gens avaient disparu, d’autres avaient apparu. Je repensais encore à mes Grands-Parents. Des larmes coulaient au fond de ma mémoire.
Enfin je rêvais de mon petit frère. Je l’imaginais grandir, s’émerveiller à son tour, découvrir le monde. Je voulais passer du temps avec lui. Je sentais en moi ce désir puissant de lui enseigner la vie, la passion des choses, le gout du rêve, l’envie du simple. Je voulais qu’il me sente a ses côtés.
Lorsque je quittais Warren pour remonter plus au Nord de la côte Est, je l’observais une dernière fois. Cet homme simple, sincère et généreux ne s’était jamais arrêté de vivre.
Mon séjour a Cairns allait être l’un des dernier sur le territoire australien. J’allais avoir encore une étape de quelques jours à Darwin, dans le Northland, avant de m’envoler pour l’Indonésie.
Je passais au total quatre jours dans la banlieue Sud de Cairns, à Edmonton. J’y étais reçu par Matt, un employé des services départementaux de fourniture en eau potable. Il installait des oléoducs qui partaient de sources d’eau montagneuses jusqu’à des cuves qui alimentaient plus de la moitié de la ville. Ce détail a son importance car en dépit de l’hardeur du travail, cela lui permettait d’avoir accès à des pistes privées en pleine jungle tropicale. J’en profitais moi-même durant mon sejour chez lui.
Le premier jour, j’étais réveillé sur les coups de huit heure le matin. Matt était planté là devant mon matelas, en uniforme de travail. Il me proposait un tour sur quelques spots sauvages et je le suivais donc encore endormi. Tous les trajets se faisaient dans un énorme truck qui lui permettait l’accès aux pistes de montagne en pleine forêt. Nous faisions un premier arrêt près d’un fleuve. Le temps était pluvieux mais la température était bonne. L’impression était celle d’un climat tropical, humide et chaud. Le long cours d’eau était de consistence boueuse et on pouvait très bien imaginer un crocodile attendant son heure sur les petites plages qu’il y avait de parts et d’autres. Malheureusement je n’étais pas chanceux ce jour là et aucun reptile ne se montrait. Nous partions ensuite au coeur de la forêt sur un sentier longeant de petites cascades. La pluie qui s’abattait depuis plusieurs jours sur la région avait donné une couleur verdâtre, quasi marron à l’eau. Le teint emeraude dont me parlait Matt avait disparu sous la boue. Je pouvais percevoir autour de mois l’hostilité de la Nature. Nous étions des milliers d’années en arrière, marchant en plein jurassic. L’humidité caressait le vert foudroyant des feuilles. L’environnement nous tolérait ici et c’est ce qui le rendait plus beau encore. Les sentiers que nous prenions étant accessibles sous autorisation seulement, Matt me demandait de devenir un scientifique-chercheur en cas de rencontres embarassantes. J’acceptais le rôle volontier pour les portes qu’il m’ouvrait.
Nous passions nos soirées à refaire le monde. C’était un jeune père de famille, musicien et amoureux de la Nature. Il me proposait de temps en temps de l’herbe et nous nous envolions tous les deux sur quelques notes de musique. Cette musique qui créé du lien, génere de l’amour, banit la violence. Elle rassemble, elle ne sépare jamais.
Le dernier jour, Matt rentrait de son travail sur les coups de 16.00 le pétillant d’un enfant au fond des yeux. Il souhaitait absolument me faire découvrir un endroit en pleine forêt tropicale et nous partions sur le champ. En arrivant, une barrière bloquait l’accès en voiture. Il fallait marcher trois kilomètres dans la rainforest avant d’arriver au point qu’il avait en tête. Quand nous arrivions enfin au niveau d’immenses chutes d’eau, un second portail barbelé barrait l’accès. Nous l’escaladions par les rochers latéraux, nos appareils photo à la main. Nous étions sur la cascade. Une impressionnante coulée d’eau en escaliers qui remontait bien plus haut que nous ne l’étions. En continuant encore un peu l’ascencion, Matt se figeait tout à coup. Sur le côté droit, bougeant dans un tallus d’herbes hautes, il venait de percevoir un mouvement. Il plongeait rapidement la main dedans pour en ressortir un serpent. C’était un jeune python. Il mesurait environ un mètre et Matt lui comprimait la base de la machoire pour l’immobiliser. Il me proposait d’en faire de même et je me retrouvais avec l’animal sur le bras droit. Je l’observais attentivement sous toute ses coutures. Il s’enroulait autour de mon poignet pour tenter de me faire lâcher prise. Pour son âge sa force était surprenante. J’osais à peine penser à la puissance que pouvait avoir un python adulte. Sous l’effet de la peur sûrement, il déjectait continuellement et je finississais par le relâcher. Après cette fabuleuse experience, nous amorcions le retour vers la voiture. Le soleil commençait à se coucher et nous avions encore nos trois kilomètres à parcourir dans la forêt avant d’y arriver. Nous étions entrain de parler lorsque Matt se bloquait soudain en lâchant un cri terrible. Dans un sursaut, j’avais juste le temps de baisser les yeux et de faire un bond immense au-dessus d’un long serpent qui passait juste à la pointe de mes pieds. Il était noir aux reflets bleus électriques, de petits yeux sombres et perçant. Je voyais Matt qui me regardais soulagé. Celui-là était très venimeux et aurait pu m’envoyer à l’hôpital en une morsure. Le cri de Matt, mon réflexe et l’attitude dédaigneuse du serpent m’avaient sauvé la vie. Une combinaison de facteurs qui avaient interagi en un millième de seconde.
Après cet épisode, nous finissions notre descente dans l’obscurité. La nuit nous avait rattrappé et Matt nous guidait à la lampe torche. Chaque branche morte sur le chemin me donnait des frissons. Quelques grenouilles vagabondaient elles aussi et mon guide les écrasait toutes du talon. Je le regardais faire perplexe. Ces bactraciens avaient en fait été introduis par les agriculteurs de la région pour protéger des parasites les plantations de cannes à sucre. Bien loin de leurs espérances, les grenouilles étaient devenues à leur tour au court du temps une plaie écologique. La substance toxique qu’elles produisaient avait déjà détrui des dizaines d’hectares de nature habitable pour les espèces animales. Se reproduisant à une vitesse exponentielle, les grenouilles étaient devenue un fleau inarrêtable. Heureusement, la Nature avait finalement repris les choses en main et quelques animaux avaient commencé à les chasser pour s’en nourrir. Leur nombre avait stagné mais elles continuaient leur travail de sappes. Nous rejoinions enfin la voiture.
La soirée nous la passions en engloutissant une pizza puis en improvisant quelques boeuf autour de morceaux célebres. Encore une fois les notes avaient raison de nous…

 


 

 

*Ambition leads me not only farther than any other man has been before me, but as far as I think it possible for man to go.

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