Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 novembre 2014 7 16 /11 /novembre /2014 17:51

De mère en mer,

Des hommes voyagent.

Rêvant sur l’écume, l’amer,

Ils dévorent le grand large.

Heureux ses solitaires,

Qui de l’étrange sauvage,

Savent se complaire

Dans un profond mirage.

Songe d’une longue traversée,

Leur esprit appartient aux rivages.

Il s’éclipse dans la nuit d’un été,

Pour renaître sur une plage.

Bohèmes des tempêtes

Et des courts arrimages,

Amis des vents et des douces goélettes,

Ils portent la vie gravée sur leur visage.

Ces hommes sont des alouettes,

Flirtant sur un océan ivre et agité.

Ils vivent tels des corsaires

Revêtant l’uniforme du sage.

R. Bedini, Un fauteuil à Paris, 2014

Partager cet article
Repost0
23 novembre 2013 6 23 /11 /novembre /2013 09:45

Je l'ai découvert il y a quelques jours en farfouillant dans la bibliothèque impressionnante d'un être cher. Il s'agit d'un poème touchant qui raconte l'espoir. L'espoir en l'humanité malgré toute l'horreur et la bêtise dont nous sommes capables. Car il y a toujours quelqu'un pour vous redonner confiance en votre propre espèce. Oui ! L'Homme est capable du pire... Comme du meilleur.

 

 

Je crois en l’homme, cette ordure,

je crois en l’homme, ce fumier,

ce sable mouvant, cette eau morte ;

 

je crois en l’homme, ce tordu,

cette vessie de vanité ;

je crois en l’homme, cette pommade,

ce grelot, cette plume au vent,

ce boutefeu, ce fouille-merde ;

je crois en l’homme, ce lèche-sang.

 

Malgré tout ce qu’il a pu faire

de mortel et d’irréparable,

je crois en lui,

pour la sûreté de sa main,

pour son goût de la liberté,

pour le jeu de sa fantaisie,


 

pour son vertige devant l’étoile,

je crois en lui

pour le sel de son amitié,

pour l’eau de ses yeux, pour son rire,

pour son élan et ses faiblesses.

 

Je crois à tout jamais en lui

pour une main qui s’est tendue.

Pour un regard qui s’est offert.

Et puis surtout et avant tout

pour le simple accueil d’un berger.


 

Lucien Jacques

http://legacy.lunion.presse.fr/media/imagecache/article-taille-normale/protec/2012-08/2012-08-19/2012081950305bf629caf-0-638433.jpg

Partager cet article
Repost0
6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 18:30

Il fait froid. C’est un fait. Peut-être -25 ou -30 degrés. Le matériel gèle rapidement. Impossible de le toucher à mains nues. Oui, il fait décidément bien froid. Le vent s’est légèrement apaisé depuis le début de l’ascension. Pourtant continue-t-il de souffler au-dessus de la barre des 40km/h. Le souffle est court. On peut sentir le battement du cœur dans les tempes. Le sang arrive difficilement au cerveau. Des ombres impressionnantes jaillissent des ténèbres. La nuit est inquiétante. La solitude aussi. La voie empruntée, sur le versant népalais, est interminable. Les jambes s’enfoncent à mi mollet dans la neige. Un rideau blanc éternel s’est approprié l’endroit depuis longtemps. Tout à coup une masse informe apparaît sur le flanc droit de l’expédition. L’obscurité empêche toute visibilité. Il faut attendre d’être à quelques mètres seulement de l’objet pour s’en rendre compte. Une sorte de malaise envahit le groupe. La chose inanimée qui git à une dizaine de pas de la voie n’est autre qu’un cadavre. Le corps sans vie d’un alpiniste. Il ne semble rester que son squelette. La neige a déjà commencé son travail de nettoyage. Le groupe continue a avancer en essayant de ne pas y penser. Il faut dire qu’ils sont nombreux à s’y être cassé les dents. Depuis le début des années 30. Français, Italiens, Suisse, Anglais. Les expéditions se suivent et se ressemblent toutes. Tragiques. Recouverte de l’emprunte de la mort et du désespoir. Et cependant, la volonté perdure. L’extraordinaire désir de puissance qui anime l’humanité. Ne jamais abandonner, toujours aller plus loin, plus haut, plus vite. La patience et la persévérance finissent par porter leurs fruits. Le lourd tribut payé à la montagne est un gage de passage. Cette fois-ci sera la bonne. Mais pourquoi ? Pourquoi cette fois et pas une autre ? Qui sont ces hommes ? Des démiurges.

Cette atmosphère glaciale, au parfum de danger extrême, c’est l’ascension du Mont Everest. Le plus grand sommet du monde avec ses 8850 mètres de terreur. Appelé Chomolungma, « Mère de l’Univers », par les Tibétains, le toit du monde est le rêve de tous les alpinistes chevronnés. Ainsi faut-il attendre 1953 pour qu’enfin une expédition atteigne le sommet. Le groupe d’aventuriers est alors dirigé par le Baron Hunt de Llanfair Waterdin, officier de la British Army.

Le capitaine John Hunt est né le 22 juin 1910 à Simla, dans les contrées lointaines du Nord de l’Inde, aux abords de la grande chaîne de l’Himalaya. Fils du capitaine Cecil Edwin Hunt MC, mort au combat durant la première guerre mondiale, et petit-neveu de l’explorateur Sir Francis Burton, le jeune Hunt semblait destiné à un grand avenir. Très tôt, il se familiarise avec l’univers montagneux. À l’âge de dix ans, les Alpes deviennent pour lui un terrain de jeu infini sur lequel il acquiert quelques rudiments d’alpinisme et d’escalade. Doté d’une aisance certaine pour l’exigence des hauts sommets, il mène dès l’âge de quatorze ans, sa première expédition vers le Piz Palu (3901 mètres), situé entre la Suisse et l’Italie.

Désireux de mener à bien ses désirs de grandeur, John commence de brillantes études au Royal Military College avant d’être engagé comme lieutenant en second dans la King’s Royal Rifle Corps, régiment d’infanterie britannique. On est alors en 1930 et John Hunt a vingt ans. Il part alors pour l’Inde dès 1931. Ses rêves sont déjà tournés vers l’Himalaya. La Grande Dame l’attend depuis son premier jour sur Terre. Il monte rapidement les échelons de la hiérarchie militaire en passant du grade de lieutenant en 1933, à celui de capitaine au sein des services de renseignement de l’armée des Indes. Malgré sa couverture et ses connaissances multiples en langue étrangère, le capitaine Hunt est contraint par la multiplication des mouvements d’indépendance, de rejoindre son ancien régiment en 1935. C’est pourtant cette même année que commence la véritable aventure d’une vie et celle de centaines d’autres après lui.

Tout débute pour John Hunt avec une première ascension jusqu’au sommet Saltoro Kangri culminant à 7470 mètres. Une prouesse qui lui vaut bien vite l’accession aux cercles très fermés de l’Alpine Club et de la Royal Geographical Society. Il n’a que vingt-cinq ans. Il entreprend alors différentes expéditions visant à atteindre les plus hautes cimes de l’Himalaya. La Grande Muraille de glace et de neige s’érige devant lui. Elle semble imperturbable, souveraine, infranchissable. Il est néanmoins prêt à la conquérir. Un grand pas de plus pour l’humanité. Ainsi, après une expédition de reconnaissance du sommet de Kangchenjunga (Sommet Sud-Ouest du Pic népalais) et une ascension réussie du Zemu Gap avec sa toute nouvelle femme, Joy Mowbray-Green, Hunt se tourne vers l’avenir.

La Seconde Guerre Mondiale n’atténue pas son ambition. Il attend patiemment la fin du conflit pour en découdre avec l’impossible. Il sait au fond de son cœur que quelque chose de grand l’attend au fond de ces montagnes. Puis arrive l’année 1953. Le capitaine John Hunt est nommé à l’improviste chef de l’expédition britannique pour l’ascension du mont Everest. Préféré finalement à Eric Shepton, Hunt prend sa mission à cœur. Il ne tient pas compte des premières réticences des anciens compagnons de Shepton qui grossissent en majorité les rangs du groupe expéditionnaire. Il a confiance en ses capacités. Ce moment il l’a attendu toute sa vie. Il ne peut s’empêcher de se souvenir des Alpes à travers lesquelles il courrait déjà très jeune. Aujourd’hui, il avait rendez-vous avec l’Histoire. L’Histoire britannique bien sûr, honneur concédé à Sa Majesté, mais surtout l’histoire de son existence. Celle d’un homme mu par la grandeur et l’amour des sommets enneigés. Oui, aujourd’hui John Hunt avait rendez-vous avec Dieu.

C’est probablement grâce à cette volonté de fer qu’il finit par s’attirer le respect des hommes qui l’accompagnent vers l’inconnu. Peut-être voient-ils en ce titan, l’homme qui les portera au sommet de leur gloire. Ainsi le camp de base est-il établi le 12 avril 1953. Après une première voie tracée à travers les chutes de glace de Khumbu, une équipe de Sherpas les amènent progressivement vers la base du Col Sud. Les hommes sont épuisés. Leur souffle est court. Le froid les poursuit jusque dans leurs entrailles. Malgré la difficulté, ils ne pensent cependant qu’à l’exploit. Le vrai. Celui qui les fera siéger au panthéon des immortels. Ils passent enfin le Col Sud le 21 mai. C’est la dernière ligne droite avant la consécration. Hunt choisit un premier binôme pour rejoindre la cime le dès le 26 mai. Tom Bourdillon et Charles Evans, équipés d’un système novateur de respiration artificiel en circuit fermé, sont obligés de rebrousser chemin. Leur oxygène n’est plus suffisant pour atteindre la cible. La grande faucheuse n’est pas loin qui les guette. John Hunt n’entend renoncer pour rien au monde à ce défit. Il renvoie donc un second binôme, plus chanceux celui-là. Le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le Sherpa Tenzin Norway accèdent aux portes de l’éternité. Le 29 mai 1953, les deux expéditionnaires peuvent planter le drapeau britannique sur le plus haut sommet du monde. Il est approximativement 11h30, ils sont au bout de leurs forces physiques. Ils ont pourtant gagné cette bataille au mental. Ils l’ont fait. Maurice Herzog écrira d’ailleurs de cet extraordinaire épisode de l’histoire de l’alpinisme mondial :

 

« 1953, l'épopée de la montagne vient de connaître sa consécration. Avec la conquête de l'Everest (8810 mètres), la montagne la plus haute du monde, un mythe a disparu. Désormais, l'homme est maître de l'univers de l'altitude. »

 

Londres recevra la nouvelle de l’exploit le matin du couronnement de la reine Elisabeth II. Hillary et Hunt en seront anoblis. L’un et l’autre pouvaient mourir heureux. C’est ainsi que le capitaine John Hunt, leader de la première expédition à avoir conquit l’Everest, mourut le 8 novembre 1998 à l’âge de 88 ans. Il fermait les yeux sur l’un des plus beaux rêves de l’humanité.


http://i.dailymail.co.uk/i/pix/2013/05/29/article-2332791-1A0B71C7000005DC-633_634x432.jpg

Legendary: The first conquerors of Everest, Edmund Hillary (left) and Sherpa Tenzing Norgay (right), with expedition leader Colonel John Hunt (centre) in Katmandu, Nepal, after descending from the peak

Partager cet article
Repost0
16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 16:01

Amis lecteurs,

Voilà bien longtemps que mes écrits n'ont pas pris source au sein même de mes pérégrinations mentales. Et pour cause, la parole de mes auteurs référents, de Chatwin à Cendrars, est bien plus riche, plus construite et désormais intemporelle. C'est pourquoi je choisi chaque jour de vous en révéler les ébauches. Pourtant eux-même, malgré l'importance de leurs écrits et de leurs réflexions n'ont cessé de s'intéresser à l'Homme. "J'ai toujours préféré les hommes à leurs idées" s'exclamait Joseph Kessel. De la même façon j'ai tenté par mes différents voyages, au-delà des singularités civilisationnelles, d'observer cet animal bizarre qu'est l'être humain. S'ouvre nécessairement, face à la complexité du genre, cette question universelle qui rassemble l'humanité au grand dam de toutes les injonctions internes qui tentent, à l'inverse, de la diviser : Qu'est-ce qui fait d'un Homme, un Homme ?

Animal social et politique ? Certes. Mais bien avant cela, un animal capable d'exprimer sa vision du monde et ses maux. Ou tout simplement l'animal qui détient le feu sacré de la compréhension de toute chose: la Parole.

Qu'est-ce que c'est que ça ? Selon la définition donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, la Parole est "la faculté d'exprimer et de communiquer la pensée au moyen du système des sons du langage articulé émis par les organes phonateurs". Qu'est-ce qui dit ? Et bien tout simplement qu'on appelle Parole, la capacité de traduire, par des mots construits, une pensée, et d'ainsi ordonner cette même pensée afin de vivre et raconter le monde tel qu'on le perçoit. La Parole permet en effet de transmettre un savoir, une expérience et donc un patrimoine spécifique.

Pourquoi est-elle potentiellement synonyme de pérennité ? La Parole est comme je l'imageais plus haut, un feu que l'on attise régulièrement pour ne pas le laisser mourir. Elle ne peut vivre qu'à travers la transmission et l'enseignement de nos pairs. C'est pourquoi, bien plus que ne l'exige le témoignage de l'écriture - résultant nécessairement des mots échangés - la Parole est la source de toutes nos réflexions, passées, présentes et futures. Elle se nourrit de la mémoires de nos Ancêtres pour renaître par les mots de nos contemporains.

C'est ce qui la rend à la fois si forte et si fragile. Car si la Parole est puissante, elle peut être aussi terriblement mise à l'épreuve du temps. En témoigne l'apologie de l'écritude, confortable fauteuil de transmission et d'archivage du passé et de sa mémoire. La Parole devient alors aussi rapide, fuyante et éphémère que la modernité. Elle ne peut se construire sur la force des Anciens et donc s'enraciner pour grandir et fructifier au gré des aspérités du temps. Je prendrais, pour illustrer mon propos, deux exemples qui m'ont particulièrement marqué.

Le premier, je le puise dans mon expérience personnelle à travers le monde. Je me souviens d'un séjour auprès d'une famille des montagnes balinaises. J'y avais posé mon sac sous les conseils de rencontres précédentes et je découvrais cet univers encore inconnu. Je me souviens d'une chose que j'avais pris au départ pour une anecdote parmi d'autres. Chaque fin de journée, alors que le soleil s'effaçait tout doucement derrière les 3142 mètres du Mont Agung, les paysans rentraient chez eux. Alors que les femmes préparaient le repas du soir, tous les hommes d'une même famille respectaient le même rituel. Ils se rencontraient inéluctablement autour d'un café pour échanger sur les problèmes du quotidien, les soucis de famille et autres contraintes de la vie. Assis autour du patriarche, leur parole raisonnait comme un principe fondamental de leur existence. Chaque soir, elle devenait un rituel incontournable imposé par le groupe pour faire durer la cohésion de ses membres et satisfaire aux exigences de leur existence. La plupart d'entre eux ne sachant pas écrire, leur parole devenait un exutoire nécessaire et fondamentale qu'ils se passaient d'une génération à l'autre dans le but de conserver la flamme de leur culture.

Le second exemple me vient de la visite d'une exposition récemment ouverte au musée du quai Branly: Kanak, l'art est une parole. Sans vouloir faire ici l'apologie de l'institution, j'y ai découvert l'importance primordial de la Parole dans le processus de transmission du patrimoine culturel. Les Kanak ont cela de fascinant, à l'image de quelques sociétés de plus en plus rares, qu'ils pérennisent leur savoir à travers la transmission orale. Ainsi considèrent-ils qu'au-delà des mots, la Parole est un acte d'existence qui unit le passé au présent et au futur. Elle est biensûr le pont entre le monde visible et le monde invisible mais elle peut être tournée vers l'horizon pour lequel elle apparait évidente. Car de cet Parole né un art, comme l'indique l'exposition; un art nécessaire de transmission et de partage, largement ouvert sur le monde et sa diversité. "Un peuple qui ne créé plus est un peuple en sursis" déclamait en ce sens Jean-Marie Tjibaou, leader indépendantiste, investigateur du renouveau identitaire kanak dans les années 70.

Pour conclure cette réflexion, je dirais qu'il est vital de perpétuer l'effort de transmission orale. La Parole est un bien unique qui s'étiole avec le temps. Car si elle nous semble si normale, si naturelle, elle n'en demeure pas moins fragile lorsque vient la frapper de plein fouet la course pressée du monde moderne. Ainsi la Parole a-t-elle besoin d'une base solide sur laquelle se construire progressivement pour être comprise à la fois dans son ensemble et dans sa singularité. À l'image de la langue khmer qui impose à l'interlocuteur d'attendre chaque fin de phrase pour en comprendre le sens voulu par celui qui parle. Alors oui l'art est une parole est aussi vrai que la parole est un art. Il est de bon ton de ne pas l'oublier en faisant la sourde oreille.


Partager cet article
Repost0
5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 15:39

http://www.lepetitlitteraire.fr/cache/im/author_big/uploads/images/author/50a26b76b7a90.jpeg?1.0

 

« Nous étions des hommes d'action, des techniciens, des spécialistes, les pionniers d'une génération moderne vouée à la mort, les annonciateurs de la révolution mondiale, les précurseurs de la destruction universelle, des réalistes, des réalistes. Et la réalité n'existe pas. Quoi ? Détruire pour reconstruire, ou détruire pour détruire ? Ni l'un ni l'autre. Anges ou démons ? Non, permettez-moi de rire : des automates, tout simplement. Nous agissions comme une machine tourne à vide, jusqu'à épuisement, inutilement, inutilement, comme la vie, comme la mort, comme on rêve. Nous n'avions même plus le goût du malheur. » - Moravagine, 1926

 

« La vérité est imaginaire. Il ne faut pas décalquer ni se confesser. J’ai toujours pris soin d’égayer ma vie pour recueillir la matière de mes livres. Après, on peut perdre le champs, n’est-ce pas ?. »

 

Comme une ode à la vie et ce qu’elle comprend de risques magnifiques, il y a un homme qui s’est battu contre le principe de précaution et la mort d’une jeunesse aseptisée : Blaise Cendrars.

Né Frédéric-Louis Sauser un 1er septembre 1887 à Chaux en Suisse, Freddy a rapidement choisi sa voie. Dès 1894, ses parents fuient la misère et la honte en s’embarquant pour Naples où ils espèrent refaire leur vie. Mais le destin en aura voulu autrement et c’est tristement qu’ils reviennent en Suisse, leur enfant Frédéric-Louis devenu un jeune homme de 17 ans. Son premier voyage venait de voler définitivement son cœur à une vie mortelle.

Afin de trouver rapidement son indépendance, le jeune Freddy prend place dans un train direction la Russie où l’attend un parent horloger. Travaillant comme commis à Saint Petersburg, il tombe amoureux une deuxième fois. La Bibliothèque impériale devient pour ce jeune homme insatiable de curiosité, un repère nécessaire dans lequel il laisse son esprit vagabonder au milieu des allées parcourues par des pairs qu’il apprend à connaître. Ici nait son goût pour l’écriture qu’il ne perdra jamais.

Un premier dépaysement à New-York sur les traces d’une Polonaise dont il s’entiche, lui permette de dresser le portrait sinistre de personnages rencontrés au hasard. Surgit alors des ténèbres, Hic, Haec, Hoc et la signature quasi définitive qu’il apposera désormais sur ses parutions : Blaise Cendrart. Comme un symbole fort, mêlant l’image de la braise et de la cendre à celle de l’art, l’ancien Freddy se meurt pour laisser renaitre tel un phénix, le grand écrivain qu’il s’apprête à devenir.

Après un passage éclair dans sa Suisse natale en 1912, Cendrars rejoint finalement Paris. Hypnotisé inéluctablement par l’esprit bohème de la capitale française, il se laisse adopter par les différents milieux artistiques et littéraires qui semblent voir en lui un garçon prometteur. Son cœur sera français ou ne sera pas. Et profitant des sirènes de la guerre 14-18, il s’engage dans la légion étrangère tout en écrivant L’Appel aux étrangers :

« Cette guerre est une délivrance pour accoucher de la liberté. Cela me va comme un gant. »


Une liberté qu’il paie le prix fort puisque le 28 septembre 1915, une rafale de mitrailleuse lui emporte le bras droit, l’obligeant à se faire amputer. Pourtant, la vie elle-même lui crie-t-elle haut et fort sa volonté de poursuivre l’impossible. Le jeune Blaise n’y voyant qu’un simple aléa, s’emploie avec assiduité à écrire de la main gauche. Puis, au terme de longs efforts, il peut renaitre une seconde fois de ses cendres pour devenir l’écrivain à La Main Coupée, titre de ses mémoires de guerre parues en 1916. Guerre dont il revient avec la certitude qu’il ne peut se résoudre à mener une vie sédentaire au risque de se sentir courir trop vite vers la Mort. Il fuit donc sa femme et ses 3 enfants, et s’applique à mettre beaucoup de poésie dans une vie qu’il veut absolument pleine et non déterminée.

C’est pourquoi, lorsqu’il peine de finir l’écriture de Moravagine, il décide de faire confiance à la frugalité du voyage et s’en va chercher l’inspiration plutôt que d’attendre qu’elle ne sonne à sa porte. Ainsi l’accueil le Brésil, en février 1924. Péripéties dont il revient non pas avec de nouvelles idées mais avec une biographie romancée du général Suter publié sous le titre Or en 1925. Un succès gratifiant qui lui permet de sortir de l’ombre à l’âge de 38 ans pour vivre pleinement sa passion du voyage et de l’écriture.

Grandement Sollicité en tant que journaliste, il aime emmener le lecteur sur des pistes inconnues en jonglant aisément entre réalité et fiction au grand dam de la vérité dont il se moque éperdument. Mais la Seconde Guerre Mondiale arrive et son flux de désillusions avec. Blaise Cendrars, correspondant de guerre auprès de l’armée britannique, en revient changé, bouleversé. Il délaisse par là-même le peu de faux-semblant dont il a l’impression d’avoir été le porte-parole pour raconter ce qu’il connaît le mieux, lui-même.

« Mettez la vie au cercueil, est-ce la mort ? Non… »


Voici des paroles qui raisonnent telle une absolue vérité, la sienne. Une vérité faite d’expériences de terrain et de confrontation direct. Une vérité gagnée sur le front de l’existence elle-même pour laquelle l’auteur s’est toujours battue. Et une vérité, enfin, écrite dans la poésie des grands chemins et des voies inconnues. Car lorsque Blaise Cendrars meurt ce 21 janvier 1961, ce n’est pas son âme qui disparaît, mais uniquement un morceau de chair. Car son âme, elle, est devenue éternelle bravant les assauts répétés de la monotonie, de la victimisation et de l’aseptisation de la jeunesse. Oui, bravant tout cela, comme pour signifier à la Grande Faucheuse elle-même qu’elle ne gagnera jamais face au désir de vivre. Finalement une façon d’emprunter au général Mac Arthur cette image de l’existence :

« On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années : on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. »

Partager cet article
Repost0
27 septembre 2013 5 27 /09 /septembre /2013 10:41

http://www.2c2m-avesnois.fr/Images/Cerf.jpg

 

Un râle venu d'outre-tombe s'élève de l'obscurité. Il soulève les premières feuilles mortes. Le fin voile d'humus est prêt à acceuillir une nouvelle saison froide. Les branche craquent, certaines se détachent et chutent avec fracas sous l'oeil bienveillant de la lune. L'astre est un oeil à demi ouvert. D'une lumière à la fois douce et puissante, il éclaire les ombres de la nuit. Ce sont d'imposantes statues de bois suivant les mouvements imposés par un petit vent d'Ouest.

Depuis que le crépuscule est tombé, la fôret s'est animée d'une ambiance particulière. Le règne animal s'est mu pour accueillir la période du brame. Sa majesté des bois est aux honneurs; le reste ne semble pas soulever d'importance. C'est bien lui qu'on entend à quelques centaines de mètres. On l'image fier de sa position, dominant sa harde et prêt à la défendre contre d'éventuels présomptueux. Il élève alors la voix. Se fait entendre, crit son engagement et dissuade les jeunes arrogants de lui voler ses terres. Il arbore son armure fauve sur laquelle repose sa couronne de bois. Il porte sur lui les forêts qu'il a traversé, les rivières franchis, les femelles pour lesquelles il s'est battu. On l'imagine puissant, tenace et sans peur, conduisant sa harde vers de nouveaux paturâges. Mais de la nuit surgit le cris de la concurrence. À droite, à gauche, à l'Est, à l'Ouest, venant de tout le royaume, ces nouveaux chevaliers sont prêt à en découdre avec le roi. Et eux aussi chantent leur avancée vers le combat pour la légtimité. Car de ce cris rauque né l'avenir. C'est le commencement. Celui par lequel les générations suivantes verront le jour. Et à leur tour se battront pour exister.

Partager cet article
Repost0
13 septembre 2013 5 13 /09 /septembre /2013 13:56

http://www.franceinter.fr/sites/default/files/imagecache/scald_image_max_size/2012/12/06/518835/images/PierreLoti.jpg

 

 

« Puis, tout à coup, je m’arrêtai, glacé, frissonnant de peur. Devant moi, quelque chose apparaissait […] ; une étendue en mouvement qui me donnait le vertige mortel […]. J’avais l’insaisissable pressentiment qu’elle finirait un jour par me prendre… »

 

Les paroles faisaient écho dans l’esprit du marin. Car qui des enfants de la mer, n’a jamais ressenti l’attraction presque inéluctable de la Grande Bleue. Elle nous apparaît divine, royaume de Neptune au féroce trident. Pour les pairs de nos pairs ce fut une immense énigme emplie de monstres et de démons. Pour nos pairs ce fut un gage de liberté et d’aventure. Et pour nous ?

Il en est un que la mer emporta très tôt en son sein. Son nom est Julien Viaud, ou devrais-je l’appeler Pierre Loti. Un enfant de sept ans hypnotisé par le grand large depuis les berges de l’île d’Oléron où il est éduqué par les siens jusqu’à son entrée au lycée de Rochefort.

Julien né le 14 janvier 1850 de Théodore Viaud et Nadine Texier-Viaud, un couple de modestes huguenots pratiquants. Déjà emprunt de prémices à la découverte, le jeune Viaud voue une admiration presque maladive à son grand frère Gustave, de 12 ans son ainé et jeune médecin de marine. C’est grâce à ce frère chéri et à ses présents du bout du monde, que le petit garçon sema les premiers indices d’une vie faite de rêves et d’exploration. Et la mort de son idole de jeunesse en avril 1865, ne devait que conforter un destin forgé pour l’ailleurs.

Julien Viaud se réfugiait alors dans les témoignages matériels de son frère, ramenés des quatre coins du monde. Des objets silencieux dont il s’amuse à percer l’histoire tout en continuant lui-même à cultiver sa collection de l’étrange dans de petites boîtes aux trésors. Ainsi les coléoptères, peaux de serpent, fossiles, coquillages et plumes d’oiseaux tropicaux sont-ils un refuge pour le jeune garçon pour qui son physique semble poser problème. Il se met alors à écrire, animé par un « besoin de noter, fixer des images fugitives, de lutter contre la fragilité des choses et de [soi]-même… »

http://www.actualite-des-arts.com/joomla1.5/images/stories/Illustrations/2_statue_de_l--le_de_p-ques1%20rsolution%20de%20lcran.jpg

Puis, rêvant à un avenir de missionnaire, l’enfant Viaud choisi de suivre les traces de son frère disparu. Sensible aux mathématiques, il réussit le concours d’entrée à l’école Navale. Ses voyages pouvaient commencer ! D’abord comme élève-officier sur le Jean-Bart, vaisseau école à hélice sur lequel il embarque à la fin de l’année 1869. Puis sur le Decrès, une corvette patrouillant en mer du Nord. Le Vaudreuil, La Flore, le Pétrel, l’Espadon… Autant de navire qui virent Julien Viaud puis Pierre Loti traverser les océans, parcourir les mers du monde, dévorer l’inconnu avec une pointe de mélancolie propre à son style presque efféminé.

Oui, Pierre Loti, du nom d’une variété polynésienne de laurier-rose, s’est détaché de son étiquette de Julien Viaud. Faisant Peau neuve à travers les paysages époustouflants de la Polynésie, de l’Amérique latine, de l’île de Pâques et plus tard, de l’Orient, l’officier de marine se transformait également en poète de la vie. Il commence, au début par nécessité financière, par proposer ses notes de bord agrémentées de croquis enlevés à de grands périodiques comme le Monde illustré. Rencontrant alors un vif succès, Loti se lance dans la rédaction d’ouvrages de référence, histoires oniriques, anecdotes sublimées de voyage qui peignent avec audace la vie trépidante du jeune homme. Naissent alors Le Mariage de Loti (1880) ou Aziyadé (1879), romans fabuleux fait d’amour et d’aventure qui ne sont pas sans rappeler les histoires romantiques du séducteur qu’il fut.

Pierre Loti est ainsi un homme de coup de théâtre. D’un physique petit et frêle, ses camarades se souviennent de lui comme un être charismatique et caractériel :

 

«  Visage dur, en lame de couteau, cheveux en brosse, moustache raide, coupée au ras des lèvres […], quelques touches de carmin aux lèvres et un glacis de rose aux pommettes, qui faisait valoir la patine de son teint… »

 

C’est le marin qui débarque, vit, aime et repart, laissant à l’écriture le fil conducteur du souvenir. Loti l’aventurier, Loti l’officier, Loti l’amant et Loti l’écrivain. Des casquettes qu’il revêtit aisément comme un acteur le ferait avec ses costumes de scène. Une métaphore qui va bien à l’homme, lui qui s’amusait de ses mises en scène souvent immortalisées par la photographie. Car inspiré il l’était entièrement. Par les pays traversés, à l’image de la Turquie qui marqua profondément son cœur et dont il garda essentiellement la mémoire d’une bien-aimée regrettée et une fascination pour le monde islamique.

Mais lorsque l’on pense à Pierre Loti, c’est encore et toujours la mer qui donne le cap. Du jour où elle séduisit une journée d’enfance, jusqu’à sa mort, elle est son âme, son refuge, son domaine d’inspiration privilégié et le meilleur antidote à sa mélancolie native. Il en retire Pêcheur d’Islande, que beaucoup désigneront comme le chef-d’œuvre de sa littérature.

http://farm4.static.flickr.com/3253/2968289527_cc7b21cea4.jpg

Ainsi Pierre Loti s’évade, navigue, écrit et se prête à rêver à l’inconnue vérité. Pendant 42 ans de service actif dans la marine nationale, il nourrit sa passion pour l’ailleurs au-delà des simples conventions. Et malgré un mariage raté dont il ne gardera qu’un fils, Samuel, il ne vit qu’en prévision de l’imprévisible.

Et lorsqu’enfin la mort sembla le guetter, il l’attendait seul dans sa « Bakhar Etchea » (maison solitaire), à Hendaye un 10 juin 1923, un anneau en or au doigt. Hakidje l’attendait, quelque part. C’était son dernier voyage.

 

 

Partager cet article
Repost0
5 septembre 2013 4 05 /09 /septembre /2013 13:07

http://www.rudyard-kipling.fr/images/demo/1.jpg

 

L’orchestre du crépuscule se met en place. La densité de la végétation n’empêche pas les nouveaux arrivants de trouver un emplacement idéal. Chacun est prêt à donner le meilleur de soi-même. Dans cette espace clos, hostile à l’étranger, il n’existe qu’une seule loi. Lorsque finit le jour et que commence la nuit, une nouvelle équipe prend le relais. La Jungle est ainsi faite, constituée par un immense concert permanent et très bien rodé. Une fausse note et il en est terminé du misérable imposteur. Puis revient le jour, encore différent, et le cycle reprend, imperturbable, serein dans sa sauvagerie bien huilée. Mais il est pourtant un être, capable à lui seul de gripper le rouage de ce mécanisme naturel. Son nom est Homme et aujourd’hui, dans cette humide matinée sauvage, il surpasse l’épais mur vert de verdure pour y laisser sa trace. Mowgli est né.

Le Livre de la Jungle tel que nous le connaissons tous est un classique de la grande industrie Disney. L’ours Baloo, la panthère Baghera, le Tigre Sher Khan sont bien des personnages qui appartiennent à notre tendre enfance pour des centaines de générations successives depuis que le dessin animé existe. Pourtant qu’en est-il de l’origine véritable de cette fabuleuse histoire animalière.

Rudyard Kipling naquit en 1865 en plein cœur de l’empire britannique des Indes. Très tôt immergé dans le milieu bohème british par ses parents, il vécut les premières années de sa vie avec une seule idée : imaginer pour créer ! Jusqu’à l’âge de sept ans, Rudyard forgera ainsi la substantifique moelle de son entière destinée d’auteur de talent. Parlant hindi, jouant aux abords de paysages exotiques fabuleux aux histoires pléthoriques, il écrira lui-même bien plus tard :

 

« Donnez-moi les six premières années de la vie d’un enfant, et je vous donne le reste. »

 

Mais les conventions sociales rattrapant sa soif de découverte, il dut se soumettre à l’éducation traditionnelle britannique en quittant son havre de création pour rejoindre une Angleterre qu’il ne devait jamais aimer. Ainsi le jeune Kipling, accompagné de sa sœur, encaissa-t-il les brimades incessantes, humiliations et autres simagrées de sa mise aux normes anglaises tout en rêvant à de futurs lendemains plus prometteurs. Et ce rigorisme abusif de réveiller en lui le conteur exceptionnel qu’il deviendra très tôt.

 

« Si vous faites subir un interrogatoire à un enfant de sept ou huit ans sur ses activités de la journée (surtout lorsqu’il tombe de sommeil), il se contredira d’une façon tout à fait satisfaisante. Si chaque contradiction est épinglée comme mensonge, et rapportée au petit déjeuner, la vie n’est pas facile. J’ai du subir pas mal de brimades, mais il s’agissait là de torture délibérée, appliquée religieusement et scientifiquement. Par contre cela m’obligea à faire très attention aux mensonges que je dus bientôt concocter et je suppose qu’il s’agit d’une bonne base pour une carrière littéraire. »

 

Ainsi soulignera-t-il le rôle déterminant de son enfance dans l’avenir qui devait être le sien. Il se nourrit également des romans d’aventures de l’époque, tel que L’île au trésors de Stevenson, sur laquelle il trouva refuge face aux vicissitudes de l’éducation traditionnelle. L’imagination devint son crédo et il s’en servir habilement.

Dans le courant de l’année 1882, Kipling, alors âgé de 17 ans, rejoint enfin son pays chéri, l’Inde. Il s’installa à Lahore pour y travailler en tant qu’assistant dans une petite gazette local, le Civil & Military Gazette dans laquelle il fit ses premières armes littéraires. Progressivement maitre de sa plume, il put écrire, grâce à l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef, Kay Robinson, ses premières nouvelles entre 1887 et 1888. Prenant naturellement la gestion de la Gazette par la force du destin – son rédacteur en chef succomba à la maladie – il donna naissance à Simples contes des collines en janvier 1888, premier recueil en prose édité à Calcutta. Il avait 22 ans.

Ce fut le déclic littéraire et journalistique. Et n’écoutant que sa jeune ambition, il décida, après être passé par les bureaux de Pioneer - une feuille à plus grand tirage appartenant au même groupe que sa première Gazette – de s’embarquer de nouveau pour l’Angleterre en 1889, persuadé de trouver à Londres les clefs de ses prochains succès. Il y fit très vite la connaissance de l’écrivain américain Wolcott Balestier avec lequel il coécrit The Naulahka en 1891. Et en 18 mois seulement, il devint un romancier de renommé national, l’un des principaux témoins de la Pax Britannica, défenseur controversé de l’importance de la stabilité de l’empire britannique dans ses colonies. Pourtant la fulgurance de ce succès fut-elle entachée par un décès prématuré. Rudyard Kipling venait de partir entre l’Afrique du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande lorsque l’écrivain américain, compagnon des premiers succès littéraires londoniens, ne survécu pas à une fièvre typhoïde.

Rudyard, alors profondément affecté par la mort de cet être cher, demanda la main de la sœur de Balestier, Carrie. Il l’épousa le 18 janvier 1892 et ils eurent trois enfants.

Installé depuis lors dans une petite maison dans le Vermont près de Battleboro aux Etats-Unis, Kipling s’activa à la création de ce qui devait être l’une de ses plus belles œuvres populaires. L’idée lui vint en observant l’épaisse couverture de neige appesantissant les arbres. Observant le cycle de la vie, de la fenêtre de son modeste bureau, Rudyard Kipling se remémore des histoires de travaux forestiers qu’il avait écrit en Inde et dans lesquelles il faisait allusion à un enfant élevé par des loups. Combinés avec des lectures de jeunesse « l’idée une fois précisée dans ma tête, la plume fait le reste, et je n’ai qu’à la regarder commencer à écrire des histoires sur Mowgli et les animaux qui allaient constituer le Livre de la Jungle », qui parut en 1894.

Tout le XIXème siècle lui valut une brillante carrière littéraire. Multipliant les succès, Rudyard Kipling était entré dans l’histoire des modèles de jeunesse, prodiguant un regard vécu de l’exotisme des colonies. Il devint l’un des auteurs les plus populaires de la langue anglaise jusqu’à obtenir en 1907, année de ses 42 ans, le convoité prix Nobel de littérature.

Cependant l’Histoire était en marche. La Première Guerre Mondiale et ses aspirations successives à l’émancipation parmi les opprimés d’un monde bientôt révolu, assénèrent un coup violent au prestige de Kipling. Certains n’hésiteront pas à le stigmatiser, le cataloguant définitivement de « prophète de l’impérialisme britannique » pour reprendre la plume acerbe de Georges Orwell. Car Rudyard avait de fascinant cette capacité à sublimer le récit, interprétant dans les faits et la narration la manière dont l’empire était vécu. « D’abord, attachez-vous aux faits. Ensuite vous pourrez les déformer selon votre bon plaisir. » écrivait Mark Twain en 1886. Kipling ne l’avait toujours pas oublié 50 ans plus tard. Et malgré son sens boulimique de l’écriture et son don pour la narration, ses idées conservatrices en matière d’indépendance des colonies devaient finir par lui être préjudiciables.

 

« Forger des hommes afin de créer et conserver des Empires. »

  

Tel fut longtemps la source de ses convictions pour lesquelles, à l’image des Trois Soldats, il fut prêt à écrire l’infériorité des indigènes dans la catégorisation du genre humain. L’Histoire lui en fera payer le prix. Sa gloire en fut sacrifiée.

Rudyard Kipling mourut le 18 janvier 1936 à l’âge de 70 ans. Les trente dernières années de sa vie il les passa à écrire discrètement, à l’écart de la notoriété qui marqua sa jeunesse. Ainsi ferma-t-il les yeux avec l’idée qu’il n’existe qu’un monde capable de fournir des récits merveilleux. Son esprit ne quitta jamais l’Inde où il créa son univers. L’imagination avait été son seul allié, et c’est ce monde là qu’il rejoignait à présent.

Partager cet article
Repost0
31 juillet 2013 3 31 /07 /juillet /2013 14:47

http://4.bp.blogspot.com/-mpiKas24mHg/UH9G23xZA4I/AAAAAAAAAWk/oOopW2euhhI/s400/a+d+neel.jpg

 

Un monde souvent réputé masculin. Voilà ce qu'on oserait dire de l'aventure et de l'exploration. Mais il en est une qui pourrait contredire à elle seule cette fausse vérité : Alexandra David-Neel.

Sa vie semblait déjà tracée tant ses premiers pas dans l'existence la guidait au-delà des frontières d'un monde qu'elle trouvait bien trop étroit à son goût. L'austérité d'un père instituteur et d'une mère catholique qui aurait préféré qu'elle eut été garçon, avait suffit à la persuader que la liberté vallait toutes les existences du monde. Ainsi ses très nombreuses fugues la préparèrent à mener son objectif principal : Voyager !

Très vite passionnée par les philosophies orientales, elle profitera d'un premier séjour à Londres afin d'en étudier les subtilités. Elle rejoindra ensuite Paris dès sa majorité, en 1889, afin de poursuivre un important apprentissage au sein de la Société théosophique. Sa découverte de l'enseignement du Bouddha la marquera toute sa vie durant, assumant volontier : "Soyez à vous-même votre propre lumière. Soyez à vous-même votre propre refuge."

Mais Alexandra se définit aussi par ses convictions affirmées, loin des sentiers battus, proches probablement de l'anarchisme politique de son père qui lui présentera Elisée Reclus, ancien compagnon de barricades. Embrassant la lutte contre le despotisme et l'infériorité sociale de la femme, la jeune Alexandra y mettra jusqu'à sa plume. Ainsi, de la rédaction d'articles emprunt de journalisme militant puis d'anarchisme libertaire, elle s'engagera pour la dépendance économique des femmes. Elle n'en retiendra qu'un sens libertaire du temps.

Alors la jeune Alexandra décide de vivre ses idées; et profitant d'une formation en auditeur libre au Collège de France, pour finir de s'instruire en philosophie orientale, elle répond enfin au premier appel de terres inconnues. Devenant la première femme bouddhiste de France, c'est en Inde qu'elle débuttera sa vie d'aventurière chevronnée.

De retour en Europe, commence pour la jeune femme une vie artistique qui lui permet d'obtenir cette indépendance financière pour laquelle la femme se doit de militer. Chanteuse lyrique, elle enchaîne les représentations classiques pendant 8 années durant lesquelles sa voix la porte jusqu'en Indochine et aux portes de l'Afrique. C'est en ce sens à Tunis, lors d'une représentation, que ses pas la mettront sur le chemin de Philippe Neel de Saint Sauveur, ingénieur des chemins de fer, dont elle tombe amoureuse. Ils se marient le 4 août 1904. Alexandra a 36 ans. Pourtant la soif de liberté finira par lui tordre à nouveau les boyaux. Cette femme ne peut se résoudre à abandonner son versant aventureux. On dira d'elle en ce sens qu'elle possède le démon du voyage et de la liberté. Il faudra alors toute la compréhension d'un mari compatissant pour ne pas la laisser dans une dépression à peine masquée. Philippe Neel la pousse à rejoindre les Indes en 1911, espérant que sa femme y trouve la ressource suffisante pour lui revenir à nouveau disponible. Alexandra profitera donc d'un voyage intégralement financé pas trois ministère français pour prolonger un séjour initial de 18 mois en... 14 ans ! Philippe Neel passera de fait, les prochaines 30 années, du statut de mari aimant à "grand ami cher".

C'est donc de retour à Ceylan et aux Indes qu'Alexandra David-Neel se refuge. Mais il lui faudra attendre sa rencontre déterminante avec le troizième dalaï-lama au Sikkim, puis les enseignement de son maître, le Gomchen, pour que la femme se transforme en "lampe de sagesse", son patronyme bouddhique.

Marquée par les années de pélerinage et d'apprentissages bouddhistes, l'aventurière décide de devenir la première Occidentale à pénétrer dans Lhassa. Flanqué d'un boy tibétain, le jeune Aphur Yongden, elle n'y parviendra qu'en février 1924 après plusieurs vaines tentatives éradiquées par l'armée britannique non content de voir cette femme fouler les territoires sans autorisations préalables. C'est donc fin octobre 1923, sébile à la main, vêtue comme une mandiante, fondue dans un groupe de pélerin, qu'Alexandra tente l'aventure. Naitra ainsi Voyage d'une Parisienne à Lhassa, produit d'un récit exceptionnel d'une femme exceptionnelle arrivant, efflanquée, le visage émacié, dans la cité interdite accompagnée de son nouveau fils adoptif, Aphur. 1927, année de parution de son aventure, marque par là-même le succès littéraire d'Alexandra David-Neel. Les Américains la désigneront comme "la femme sur le Toit du monde".

C'est finalement, épuisée par le succès, qu'elle se retirera à partir de mai 1928 dans sa "forteresse de la méditation", petite propriété achetée dans l'arrière pays niçois, du côté de Digne. Quelques soubresauts du démon du voyage, comme en janvier 1937, ne lui feront plus trop quitter son nouveau petit havre de paix. D'autant plus après la mort en octobre 1955, de son fils Aphur, le seul homme qu'elle ait véritablement aimé. Cet épisode dramatique dans la vie de l'exploratrice, mettra un terme à une existence déjà hors du commun.

Calme, appaisée et heureuse de pouvoir regarder sereinement par dessus son épaule, Alexandra ferme les yeux tout doucement sur une vie trépidante et pleine. Jettant un dernier regard à une vieille photo de son fils et elle prêt des remparts de Lhassa, elle ne peut s'empêcher de sourire en pensant : "il est bon d'avoir vécu sa vie. C'est la meilleure chose, la seule raisonnable à faire dans la vie." Alexandra s'éteint le 8 septembre 1969. À la veille de ses 101 ans, elle se sent une femme libre et fière.

Partager cet article
Repost0
24 juillet 2013 3 24 /07 /juillet /2013 05:38

http://www.lubique.ca/leblogue/files/2012/12/Corto.jpg

 

Corto Maltese, un personnage fictif devenu réel par la force du récit. Hugo Pratt, son père biologique, en a fait une illustration personnifiée de son temps, un XXème siècle aux rebonds historiques. Témoin des grands conflits des années 1900, figure emblématique de l’antihéros, Corto Maltese est avant tout un marin hors pair assoiffé d’aventures. Sa biographie même, inventée par l’auteur, est gorgée de récits d’explorations, de navigations de contrebande, de rencontres mystiques, littéraires ou historiques. L’onirisme d’Hugo Pratt a tout simplement fait de son personnage un conteur privilégié de l’Histoire.

Corto Maltese est ainsi né le 10 juillet 1887 d’un père marin dans la Royal Navy et d’une mère gitane. Prédestiné à une vie trépidante, il s’engage dans la marine marchande qui le mènera aux portes de l’exotisme. Cependant peu conventionnel dans ses intentions et à l’image d’une chance dont il dira toute sa vie qu’elle est maîtrisée, il se détourne vite de la normalité pour choisir une voie plus aventureuse, dangereuse et libre voire libertaire. Corto Maltese devient en ce sens le charmeur coiffé d’une casquette de marin portant l’anneau du passage des 3 cap à l’oreille gauche. Regard malicieux dépassant de son long manteau au col souvent relevé, notre homme pense déjà à ses prochaines pérégrinations qui le mèneront en Mandchourie, en pleine guerre Russo-Japonaise vers 1904, puis en Patagonie en 1906 sur les traces de Butch Cassidy et Sundance Kid ou encore sur les bords de la Somme en 1918, alors que la Première Guerre Mondiale arrive à son terme. Suivre la vie de Corto c’est également rencontrer les intellectuels, écrivains, artistes qui parsemaient toute une époque. Le reporter de guerre Jack London, le poète Gabriele d’Annunzio ou encore la peintre Tamara de Lempicka. Car Hugo Pratt fut un homme sensible à l’esprit littéraire dont il ponctuera tout du long sa bande dessinée qu’il nomme lui-même « littérature dessinée ». Et tous ces intervenants de luxe, contribueront à enrichir le personnage, sa place dans ce monde du XXème siècle qu’il épouse à bras-le-corps. On dira de lui qu’il est amoral, dénué de sens politique, ne faisant confiance qu’à son instinct et sa liberté. Il n’existe pas pour faire ou défaire l’Histoire alors déjà en marche, mais se joue d’elle, l’observe pour mieux la comprendre. En ce sens la traverse-t-il sans jamais l’entraver.

Mais ce qui frappe le plus chez Corto c’est sa bi nationalité, son appartenance à la fois à la terre du réel et au royaume du songe. Il se situe en effet à la frontière des deux mondes, personnage de l’incertitude qui nous semble tellement vrai tout en étant fictif. C’est pourquoi il nous séduit tant, dans ses qualités et dans ses défauts. Ou plutôt dans son style de vie, toujours libre, sans enclaves, dans l’incertitude permanente. À l’image de ce que pensait son créateur, Hugo Pratt : « Un jour on tombe sur un manque, le document recherché a, par exemple brûlé au Moyen-Âge, et c’est alors que quelqu’un comme moi peut occuper ce vide en créant une histoire. »

Et cette histoire c’est lui, Corto Maltese, le fruit d’abord de modèles appartenant à la fin du XIXème - début du XXème siècle ; puis image façonnée par nos propres désirs de grand large et d’horizons nouveaux, incertains. C’est pourquoi si tant est que Corto nous semble être attachant, fallait-il lui créer un double repoussant. Naissait alors Raspoutine, l’âme damnée de Corto, terrible, impulsif et sanguinaire. Pourtant est il indispensable à la survie de notre antihéros, à la fois ami et ennemi, animé par le même besoin d’aventure et de liberté. Le couple représente-t-il par là-même la complexité de cette liberté tant désirée face à ce que l’Histoire semble nous imposer. Leurs personnages raisonnent comme d’un seul homme, comme pour nous signifier les familiarités qui peuvent exister entre ce que nous sommes ou que nous souhaiterions être et leur personnalité imaginées.

Corto Maltese c’est finalement nous. La personnification de nos désirs de liberté, d’action,  d’entrave à la norme, de dépassement de soi-même. Et dans un ultime regard, il foudroie le lointain comme pour nous révéler une vérité, sa vérité, celle d’un horizon, seule terre sur laquelle il vaille la peine de vivre pour toujours.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de desirs.nomades.over-blog.com
  • : Il s'agit avant tout de vous emmener avec moi en ballade. Mais il est important aussi de savoir rêver et de se laisser transporter par les mots et les images là ou l'on souhaite s'évader, à n'importe quel moment du jour et de la nuit...
  • Contact

Recherche

Archives