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6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 18:30

Il fait froid. C’est un fait. Peut-être -25 ou -30 degrés. Le matériel gèle rapidement. Impossible de le toucher à mains nues. Oui, il fait décidément bien froid. Le vent s’est légèrement apaisé depuis le début de l’ascension. Pourtant continue-t-il de souffler au-dessus de la barre des 40km/h. Le souffle est court. On peut sentir le battement du cœur dans les tempes. Le sang arrive difficilement au cerveau. Des ombres impressionnantes jaillissent des ténèbres. La nuit est inquiétante. La solitude aussi. La voie empruntée, sur le versant népalais, est interminable. Les jambes s’enfoncent à mi mollet dans la neige. Un rideau blanc éternel s’est approprié l’endroit depuis longtemps. Tout à coup une masse informe apparaît sur le flanc droit de l’expédition. L’obscurité empêche toute visibilité. Il faut attendre d’être à quelques mètres seulement de l’objet pour s’en rendre compte. Une sorte de malaise envahit le groupe. La chose inanimée qui git à une dizaine de pas de la voie n’est autre qu’un cadavre. Le corps sans vie d’un alpiniste. Il ne semble rester que son squelette. La neige a déjà commencé son travail de nettoyage. Le groupe continue a avancer en essayant de ne pas y penser. Il faut dire qu’ils sont nombreux à s’y être cassé les dents. Depuis le début des années 30. Français, Italiens, Suisse, Anglais. Les expéditions se suivent et se ressemblent toutes. Tragiques. Recouverte de l’emprunte de la mort et du désespoir. Et cependant, la volonté perdure. L’extraordinaire désir de puissance qui anime l’humanité. Ne jamais abandonner, toujours aller plus loin, plus haut, plus vite. La patience et la persévérance finissent par porter leurs fruits. Le lourd tribut payé à la montagne est un gage de passage. Cette fois-ci sera la bonne. Mais pourquoi ? Pourquoi cette fois et pas une autre ? Qui sont ces hommes ? Des démiurges.

Cette atmosphère glaciale, au parfum de danger extrême, c’est l’ascension du Mont Everest. Le plus grand sommet du monde avec ses 8850 mètres de terreur. Appelé Chomolungma, « Mère de l’Univers », par les Tibétains, le toit du monde est le rêve de tous les alpinistes chevronnés. Ainsi faut-il attendre 1953 pour qu’enfin une expédition atteigne le sommet. Le groupe d’aventuriers est alors dirigé par le Baron Hunt de Llanfair Waterdin, officier de la British Army.

Le capitaine John Hunt est né le 22 juin 1910 à Simla, dans les contrées lointaines du Nord de l’Inde, aux abords de la grande chaîne de l’Himalaya. Fils du capitaine Cecil Edwin Hunt MC, mort au combat durant la première guerre mondiale, et petit-neveu de l’explorateur Sir Francis Burton, le jeune Hunt semblait destiné à un grand avenir. Très tôt, il se familiarise avec l’univers montagneux. À l’âge de dix ans, les Alpes deviennent pour lui un terrain de jeu infini sur lequel il acquiert quelques rudiments d’alpinisme et d’escalade. Doté d’une aisance certaine pour l’exigence des hauts sommets, il mène dès l’âge de quatorze ans, sa première expédition vers le Piz Palu (3901 mètres), situé entre la Suisse et l’Italie.

Désireux de mener à bien ses désirs de grandeur, John commence de brillantes études au Royal Military College avant d’être engagé comme lieutenant en second dans la King’s Royal Rifle Corps, régiment d’infanterie britannique. On est alors en 1930 et John Hunt a vingt ans. Il part alors pour l’Inde dès 1931. Ses rêves sont déjà tournés vers l’Himalaya. La Grande Dame l’attend depuis son premier jour sur Terre. Il monte rapidement les échelons de la hiérarchie militaire en passant du grade de lieutenant en 1933, à celui de capitaine au sein des services de renseignement de l’armée des Indes. Malgré sa couverture et ses connaissances multiples en langue étrangère, le capitaine Hunt est contraint par la multiplication des mouvements d’indépendance, de rejoindre son ancien régiment en 1935. C’est pourtant cette même année que commence la véritable aventure d’une vie et celle de centaines d’autres après lui.

Tout débute pour John Hunt avec une première ascension jusqu’au sommet Saltoro Kangri culminant à 7470 mètres. Une prouesse qui lui vaut bien vite l’accession aux cercles très fermés de l’Alpine Club et de la Royal Geographical Society. Il n’a que vingt-cinq ans. Il entreprend alors différentes expéditions visant à atteindre les plus hautes cimes de l’Himalaya. La Grande Muraille de glace et de neige s’érige devant lui. Elle semble imperturbable, souveraine, infranchissable. Il est néanmoins prêt à la conquérir. Un grand pas de plus pour l’humanité. Ainsi, après une expédition de reconnaissance du sommet de Kangchenjunga (Sommet Sud-Ouest du Pic népalais) et une ascension réussie du Zemu Gap avec sa toute nouvelle femme, Joy Mowbray-Green, Hunt se tourne vers l’avenir.

La Seconde Guerre Mondiale n’atténue pas son ambition. Il attend patiemment la fin du conflit pour en découdre avec l’impossible. Il sait au fond de son cœur que quelque chose de grand l’attend au fond de ces montagnes. Puis arrive l’année 1953. Le capitaine John Hunt est nommé à l’improviste chef de l’expédition britannique pour l’ascension du mont Everest. Préféré finalement à Eric Shepton, Hunt prend sa mission à cœur. Il ne tient pas compte des premières réticences des anciens compagnons de Shepton qui grossissent en majorité les rangs du groupe expéditionnaire. Il a confiance en ses capacités. Ce moment il l’a attendu toute sa vie. Il ne peut s’empêcher de se souvenir des Alpes à travers lesquelles il courrait déjà très jeune. Aujourd’hui, il avait rendez-vous avec l’Histoire. L’Histoire britannique bien sûr, honneur concédé à Sa Majesté, mais surtout l’histoire de son existence. Celle d’un homme mu par la grandeur et l’amour des sommets enneigés. Oui, aujourd’hui John Hunt avait rendez-vous avec Dieu.

C’est probablement grâce à cette volonté de fer qu’il finit par s’attirer le respect des hommes qui l’accompagnent vers l’inconnu. Peut-être voient-ils en ce titan, l’homme qui les portera au sommet de leur gloire. Ainsi le camp de base est-il établi le 12 avril 1953. Après une première voie tracée à travers les chutes de glace de Khumbu, une équipe de Sherpas les amènent progressivement vers la base du Col Sud. Les hommes sont épuisés. Leur souffle est court. Le froid les poursuit jusque dans leurs entrailles. Malgré la difficulté, ils ne pensent cependant qu’à l’exploit. Le vrai. Celui qui les fera siéger au panthéon des immortels. Ils passent enfin le Col Sud le 21 mai. C’est la dernière ligne droite avant la consécration. Hunt choisit un premier binôme pour rejoindre la cime le dès le 26 mai. Tom Bourdillon et Charles Evans, équipés d’un système novateur de respiration artificiel en circuit fermé, sont obligés de rebrousser chemin. Leur oxygène n’est plus suffisant pour atteindre la cible. La grande faucheuse n’est pas loin qui les guette. John Hunt n’entend renoncer pour rien au monde à ce défit. Il renvoie donc un second binôme, plus chanceux celui-là. Le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le Sherpa Tenzin Norway accèdent aux portes de l’éternité. Le 29 mai 1953, les deux expéditionnaires peuvent planter le drapeau britannique sur le plus haut sommet du monde. Il est approximativement 11h30, ils sont au bout de leurs forces physiques. Ils ont pourtant gagné cette bataille au mental. Ils l’ont fait. Maurice Herzog écrira d’ailleurs de cet extraordinaire épisode de l’histoire de l’alpinisme mondial :

 

« 1953, l'épopée de la montagne vient de connaître sa consécration. Avec la conquête de l'Everest (8810 mètres), la montagne la plus haute du monde, un mythe a disparu. Désormais, l'homme est maître de l'univers de l'altitude. »

 

Londres recevra la nouvelle de l’exploit le matin du couronnement de la reine Elisabeth II. Hillary et Hunt en seront anoblis. L’un et l’autre pouvaient mourir heureux. C’est ainsi que le capitaine John Hunt, leader de la première expédition à avoir conquit l’Everest, mourut le 8 novembre 1998 à l’âge de 88 ans. Il fermait les yeux sur l’un des plus beaux rêves de l’humanité.


http://i.dailymail.co.uk/i/pix/2013/05/29/article-2332791-1A0B71C7000005DC-633_634x432.jpg

Legendary: The first conquerors of Everest, Edmund Hillary (left) and Sherpa Tenzing Norgay (right), with expedition leader Colonel John Hunt (centre) in Katmandu, Nepal, after descending from the peak

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