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5 septembre 2013 4 05 /09 /septembre /2013 13:07

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L’orchestre du crépuscule se met en place. La densité de la végétation n’empêche pas les nouveaux arrivants de trouver un emplacement idéal. Chacun est prêt à donner le meilleur de soi-même. Dans cette espace clos, hostile à l’étranger, il n’existe qu’une seule loi. Lorsque finit le jour et que commence la nuit, une nouvelle équipe prend le relais. La Jungle est ainsi faite, constituée par un immense concert permanent et très bien rodé. Une fausse note et il en est terminé du misérable imposteur. Puis revient le jour, encore différent, et le cycle reprend, imperturbable, serein dans sa sauvagerie bien huilée. Mais il est pourtant un être, capable à lui seul de gripper le rouage de ce mécanisme naturel. Son nom est Homme et aujourd’hui, dans cette humide matinée sauvage, il surpasse l’épais mur vert de verdure pour y laisser sa trace. Mowgli est né.

Le Livre de la Jungle tel que nous le connaissons tous est un classique de la grande industrie Disney. L’ours Baloo, la panthère Baghera, le Tigre Sher Khan sont bien des personnages qui appartiennent à notre tendre enfance pour des centaines de générations successives depuis que le dessin animé existe. Pourtant qu’en est-il de l’origine véritable de cette fabuleuse histoire animalière.

Rudyard Kipling naquit en 1865 en plein cœur de l’empire britannique des Indes. Très tôt immergé dans le milieu bohème british par ses parents, il vécut les premières années de sa vie avec une seule idée : imaginer pour créer ! Jusqu’à l’âge de sept ans, Rudyard forgera ainsi la substantifique moelle de son entière destinée d’auteur de talent. Parlant hindi, jouant aux abords de paysages exotiques fabuleux aux histoires pléthoriques, il écrira lui-même bien plus tard :

 

« Donnez-moi les six premières années de la vie d’un enfant, et je vous donne le reste. »

 

Mais les conventions sociales rattrapant sa soif de découverte, il dut se soumettre à l’éducation traditionnelle britannique en quittant son havre de création pour rejoindre une Angleterre qu’il ne devait jamais aimer. Ainsi le jeune Kipling, accompagné de sa sœur, encaissa-t-il les brimades incessantes, humiliations et autres simagrées de sa mise aux normes anglaises tout en rêvant à de futurs lendemains plus prometteurs. Et ce rigorisme abusif de réveiller en lui le conteur exceptionnel qu’il deviendra très tôt.

 

« Si vous faites subir un interrogatoire à un enfant de sept ou huit ans sur ses activités de la journée (surtout lorsqu’il tombe de sommeil), il se contredira d’une façon tout à fait satisfaisante. Si chaque contradiction est épinglée comme mensonge, et rapportée au petit déjeuner, la vie n’est pas facile. J’ai du subir pas mal de brimades, mais il s’agissait là de torture délibérée, appliquée religieusement et scientifiquement. Par contre cela m’obligea à faire très attention aux mensonges que je dus bientôt concocter et je suppose qu’il s’agit d’une bonne base pour une carrière littéraire. »

 

Ainsi soulignera-t-il le rôle déterminant de son enfance dans l’avenir qui devait être le sien. Il se nourrit également des romans d’aventures de l’époque, tel que L’île au trésors de Stevenson, sur laquelle il trouva refuge face aux vicissitudes de l’éducation traditionnelle. L’imagination devint son crédo et il s’en servir habilement.

Dans le courant de l’année 1882, Kipling, alors âgé de 17 ans, rejoint enfin son pays chéri, l’Inde. Il s’installa à Lahore pour y travailler en tant qu’assistant dans une petite gazette local, le Civil & Military Gazette dans laquelle il fit ses premières armes littéraires. Progressivement maitre de sa plume, il put écrire, grâce à l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef, Kay Robinson, ses premières nouvelles entre 1887 et 1888. Prenant naturellement la gestion de la Gazette par la force du destin – son rédacteur en chef succomba à la maladie – il donna naissance à Simples contes des collines en janvier 1888, premier recueil en prose édité à Calcutta. Il avait 22 ans.

Ce fut le déclic littéraire et journalistique. Et n’écoutant que sa jeune ambition, il décida, après être passé par les bureaux de Pioneer - une feuille à plus grand tirage appartenant au même groupe que sa première Gazette – de s’embarquer de nouveau pour l’Angleterre en 1889, persuadé de trouver à Londres les clefs de ses prochains succès. Il y fit très vite la connaissance de l’écrivain américain Wolcott Balestier avec lequel il coécrit The Naulahka en 1891. Et en 18 mois seulement, il devint un romancier de renommé national, l’un des principaux témoins de la Pax Britannica, défenseur controversé de l’importance de la stabilité de l’empire britannique dans ses colonies. Pourtant la fulgurance de ce succès fut-elle entachée par un décès prématuré. Rudyard Kipling venait de partir entre l’Afrique du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande lorsque l’écrivain américain, compagnon des premiers succès littéraires londoniens, ne survécu pas à une fièvre typhoïde.

Rudyard, alors profondément affecté par la mort de cet être cher, demanda la main de la sœur de Balestier, Carrie. Il l’épousa le 18 janvier 1892 et ils eurent trois enfants.

Installé depuis lors dans une petite maison dans le Vermont près de Battleboro aux Etats-Unis, Kipling s’activa à la création de ce qui devait être l’une de ses plus belles œuvres populaires. L’idée lui vint en observant l’épaisse couverture de neige appesantissant les arbres. Observant le cycle de la vie, de la fenêtre de son modeste bureau, Rudyard Kipling se remémore des histoires de travaux forestiers qu’il avait écrit en Inde et dans lesquelles il faisait allusion à un enfant élevé par des loups. Combinés avec des lectures de jeunesse « l’idée une fois précisée dans ma tête, la plume fait le reste, et je n’ai qu’à la regarder commencer à écrire des histoires sur Mowgli et les animaux qui allaient constituer le Livre de la Jungle », qui parut en 1894.

Tout le XIXème siècle lui valut une brillante carrière littéraire. Multipliant les succès, Rudyard Kipling était entré dans l’histoire des modèles de jeunesse, prodiguant un regard vécu de l’exotisme des colonies. Il devint l’un des auteurs les plus populaires de la langue anglaise jusqu’à obtenir en 1907, année de ses 42 ans, le convoité prix Nobel de littérature.

Cependant l’Histoire était en marche. La Première Guerre Mondiale et ses aspirations successives à l’émancipation parmi les opprimés d’un monde bientôt révolu, assénèrent un coup violent au prestige de Kipling. Certains n’hésiteront pas à le stigmatiser, le cataloguant définitivement de « prophète de l’impérialisme britannique » pour reprendre la plume acerbe de Georges Orwell. Car Rudyard avait de fascinant cette capacité à sublimer le récit, interprétant dans les faits et la narration la manière dont l’empire était vécu. « D’abord, attachez-vous aux faits. Ensuite vous pourrez les déformer selon votre bon plaisir. » écrivait Mark Twain en 1886. Kipling ne l’avait toujours pas oublié 50 ans plus tard. Et malgré son sens boulimique de l’écriture et son don pour la narration, ses idées conservatrices en matière d’indépendance des colonies devaient finir par lui être préjudiciables.

 

« Forger des hommes afin de créer et conserver des Empires. »

  

Tel fut longtemps la source de ses convictions pour lesquelles, à l’image des Trois Soldats, il fut prêt à écrire l’infériorité des indigènes dans la catégorisation du genre humain. L’Histoire lui en fera payer le prix. Sa gloire en fut sacrifiée.

Rudyard Kipling mourut le 18 janvier 1936 à l’âge de 70 ans. Les trente dernières années de sa vie il les passa à écrire discrètement, à l’écart de la notoriété qui marqua sa jeunesse. Ainsi ferma-t-il les yeux avec l’idée qu’il n’existe qu’un monde capable de fournir des récits merveilleux. Son esprit ne quitta jamais l’Inde où il créa son univers. L’imagination avait été son seul allié, et c’est ce monde là qu’il rejoignait à présent.

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